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Cote document
138
Cote KBR
KBR/Felix X/1 138 C Mus.
Date
25/11/1846
Année
Type
JPF: Brouillon
Expediteur
deest
Destinataire
deest
Nature des travaux
deest
Orgue (lieu)
Titre
Le triple brevet d'HL 1846
Vedettes: personnes, lieux, objets
Personnes
Barker; Cabias; Cavaillé-Coll, Aristide; Clergeau; Couwenbergh, Hilarius Victor; Daublaine et Callinet; Debain; Lambillotte, père Louis; Loret, François-Bernard; Van Bever, Adrien
Lieux
Averbode; Paris
Objets
harmoniphone; nouveau système de Debain; transpositeur de l'abbé Clergeau; mille-accords de Cabias
Transcription du document
Felix X/1/138 X Mus.

 

Texte ms JPF

 

Le triple brevet d’Hippolyte Loret 1846

 

Hippolyte Loret ne rentra jamais qu’un seul brevet d’invention[1] mais il s’agissait d’un brevet triple parce qu’il portait sur 3 objets très différents. Ce brevet fut déposé le 25 novembre 1846 et délivré moins d’un mois après (!), le 20 décembre.



  1. Le premier brevet



Le premier brevet concernait un dispositif appelé «modificateur Loret» et qui était destiné à donner d’une façon simple au clavier des grands orgues la douceur du toucher des instruments de moindres dimensions.

 

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Il s’agissait en quelque sorte d’une application du principe du levier pneumatique pour lequel Charles Spackman Barker avait obtenu un brevet d’invention de 10 ans le 20 juin 1839 à Paris.[2]

Cavaillé-Coll se montre très vite intéressé à l’invention de Barker et signa avec lui un accord pour lui payer 2.000 F pour chaque instrument dans lequel l’«appareil pneumatique intermédiaire» serait appliqué. Peu après, Barker signa une convention semblable avec la maison Daublaine-Callinet. Comme il n’en exigeait pour chaque application que le quart de ce qu’il avait réclamé à Cavaillé-Coll, celui-ci en fut avec raison assez irrité.

Toujours est-il que l’application stricte

 

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du procédé Barker revenait cher aux facteurs d’orgues et que le paiement d’une telle redevance ne pouvait être envisagée sur le marché belge.

Deux possibilités s’offraient aux facteurs belges: copier strictement l’invention tout en prenant le risque de la breveter à son tour; ou imaginer autre chose.

Hippolyte Loret opta pour la première solution. Quelques années plus tard, son frère François Bernard inventa autre chose.

La machine pneumatique pour laquelle H. Loret déposa en 1846 un brevet s’inspirait entièrement de celle de Barker: il la dénomma abusivement «modification Loret». Concrètement le système, disposé sur le parcours de l’abrégé aux soupapes, consiste en une série de soupapes intermédiaires et de petits soufflets et de soupapes de dégagement, chacun en nombre correspondant au nombre de touches du clavier. En abaissant une touche, la soupape correspondante, placée dans un réservoir d’air comprimé permet, par son ouverture, de remplir un petit soufflet: en se déployant vers le bas, celui-ci fait, par l’intermédiaire d’une tringle qui lui est accolée, baisser la soupape traditionnelle de la laie.

 

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En relâchant la touche, l’air renvoyé fait ouvrir la soupape de sortie et le mécanisme reprend son repos.

Signalons que ce n’est toutefois qu’en 1855 que C. Barker breveta en Belgique son système pour adoucir les claviers d’orgues.[3] Certainement était-ce dû au danger que représentaient les facteurs d’orgues belges prêts à appliquer son invention telle quelle ou sous une variante quelconque, sans que Barker qui en fut le véritable inventeur en trouvât le moindre profit.

 

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Précisons que selon Couwenbergh,[4] c’est Adrien Van Bever, alors au service d’Hippolyte Loret, qui construisit, pour la première fois en Belgique, un système de levier pneumatique. Ce fut à l’orgue monumental de H. Loret de l’abbaye d’Averbode, autour de 1857.

 

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Le deuxième brevet

Le deuxième brevet portait sur un soufflet compensateur destiné à apporter, en cas de déficience, un complément de vent dans la laie selon le jeu de l’organiste.

Loret expliquait que, conscients des déficiences en vent en cas de jeu saccadé («transitions rapides» ou «préludes d’inspiration», surtout pour les basses, les organistes étaient contraints de jouer et de composer en conséquence, c’est-à-dire dans le sens d’une «continuité de tons».

Ce soufflet, à un pli rentrant, était situé juste au dessous de la laie avec laquelle il communiquait par 4 trous. Le déploiement de ce soufflet était modulé par l’action de 4 ressorts disposés à chacun de ses côtés. Aussi longtemps que les tuyaux recevaient suffisamment de vent, le soufflet était déployé; dans le cas contraire, il fournissait, en se comprimant, le supplément nécessaire de vent. Ce fut l’ancêtre du soufflet régulateur que nous connaissons. Nous ignorons dans quels orgues Loret mit en application ces 2 brevets.

 

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François Bernard Loret, frère d’Hippolyte, breveta fin 1857 un autre procédé pour alléger le toucher des claviers.[5] Beaucoup moins sophistiqué que la machine Barker, il s’agit d’un prolongement de la soupape dans la laie. Quand la soupape s’abaissait, son prolongement rentrait dans la gravure ; il s’établissait ainsi une pression d’équilibre sur les deux parties de la soupape d’où la mise en mouvement sans résistance.

 

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Le troisième brevet

Le troisième brevet d’Hippolyte Loret porta sur un appareil qui permettait à quiconque qui n’avait aucune notion d’harmonie, d’accompagner le plain-chant avec des accords parfaits «simples, pleins, comme il convient à la gravité du plain-chant». D’où la dénomination de l’appareil: «chant harmonisé» ou «harmoniphone».

L’appareil se présentait sous la forme d’une boîte oblongue à placer sur un clavier d’orgue ou d’harmonium. Il suffisait à l’exécutant de connaître ses notes et d’enfoncer l’un ou l’autre des boutons situés sur les côtés de la boîte et qui portaient les noms des notes.

 

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Les premières rangées de boutons représentaient la gamme des tons mineurs avec ses modulations relatives. On pouvait ainsi accompagner le plain-chant dans les 1er, 2e, 3e et 4e tons. Les 3e et 4e rangées de boutons représentaient la gamme des tons majeurs avec ses modulations relatives; on pouvait ainsi accompagner dans les 5e, 6e, 7e et 8e tons.

Cet «harmoniphone» était de plus transpositeur puisqu'on n'avait qu'à avancer ou reculer le mécanisme. L'appareil permettait aussi de moduler dans le plain-chant.

 

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Loret déploya ensuite les avantages de son invention. En homme prudent, il précisa d’emblée qu’il n’avait pas l’intention que l’harmoniphone vienne remplacer un bon organiste. Il recommandait toutefois son appareil:

– Dans tous les cas où le plain-chant rehaussant le service divin ne pouvait être appliqué.

– Dans les régions lointaines où il est difficile, voire impossible de se procurer un bon organiste (missions, colonies, paroisses rurales).

– En cas d’absence d’un organiste: l’harmoniphone accompagnait mieux qu’un mauvais remplaçant.

Loret précisa ensuite que son invention n’avait rien à voir avec d’autres déjà connues: –– Le «mille-accord» de Cabias, beaucoup trop complexe et cher. Le sien avait été spécialement conçu pour donner les accords nécessaires au plain-chant.

 

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– Le nouveau système Debain nécessitant d’abord le piquage de chant sur un cylindre qui mettait les touches en mouvement, comme dans une serinette.

– Le transpositeur de l’abbé Clergeau dont l’utilisation imposait des connaissances d’harmonie.

Loret expliqua ensuite qu’il était parvenu à son invention grâce à une longue pratique du plain-chant et aussi grâce aux savantes observations du Père Lambillotte sur l’harmonie dans l’accompagnement du plain-chant. Sur cette base, Loret remarqua que l’harmonisation se réduisait à quelques formules, toujours à peu près les mêmes. Il en conclut qu’il était possible d’y arriver avec 30 notes et donc 30 accords. Il s’appliqua ensuite à imaginer le mécanisme qui fournirait les accords les plus harmonieux.

Pour être certain de bien se faire comprendre dans son but, Loret termina en rappelant qu’il n’avait nullement l’intention que son harmoniphone se substitue à un bon organiste. Il voulait simplement aider les paroisses qui n’en avaient pas, ou là où il était médiocre,

 

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l’aider à accompagner valablement. Et si les paroisses pauvres venaient à s’enrichir et ainsi pouvoir rémunérer un organiste, son appareil n’aurait plus aucune raison d’être et il s’en réjouirait.

Loret termina par la description technique de son harmoniphone.

La première planche montre la partie supérieure de la boîte à poser sur le clavier. On distingue les 4 rangées de notes permettant de jouer dans tous les tons.

En pressant un bouton, on abaissait en même temps les autres poussoirs auxquels il était relié pour former l’accord. Ces poussoirs venaient directement s’appliquer sur les notes considérées. L’intérieur de la boîte était formé d’une combinaison de cylindres armés de «savattes», lesquelles faisaient mouvoir les poussoirs du clavier.

 

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La seconde planche donne l’indication de 4 séries et les accords que l’appareil fait sonner à l’aide de pistons.

 

[1] J. P. Felix, Brevets pris par des facteurs d’orgues belges au XIXe siècle (ouvrage à paraître) — Voir N° 5a de notre classement.

[2] Paris, Institut national de la Propriété Industrielle, catalogue de l’année 1839, brevet n° 9696, cité par M. Jurine, Joseph Mercklin, facteurs d’orgues européen — essai sur l’orgue français au XIXe siècle, ed. Association A. Cavaillé-Coll, Aux Amateurs de Livres, 1991, t. I, p. 69.

[3] Brevet d’importation n° ? déposé le 30 juillet 1855 et obtenu le 16 août de la même année.

[4] H.V. Couwenbergh, op. cit., p. 88.

[5] JPF, Brevets…, voir n° 9b de notre classement.
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